Témoignage de Maria

02/02/2021

Maria, française, ancienne fonctionnaire aujourd'hui retraitée et mère de deux enfants, raconte comment elle a été confrontée au phénomène de l'islamisme.

« Aujourd'hui encore, je me demande comment j'aurais réagi s'il s'était agi de mes propres fils. »

J'ai travaillé pendant près de 25 ans dans l'administration au sein d'une commune.

Face au déni ou à la minimisation du phénomène de l'islamisme par certains, ma colère grandit. À mon humble niveau, de manière indirecte, j'y ai été confrontée comme beaucoup d'autres personnes.

Ainsi, les conversions des enfants de mes deux collègues de bureau m'ont particulièrement marquée.

Aujourd'hui encore, je me demande comment j'aurais réagi s'il s'était agi de mes propres fils.

Le premier événement a eu lieu avant les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, autour de 2010.

Un matin, en arrivant au travail j'ai trouvé ma collègue de bureau, Dominique, bouleversée. Lorsque que je lui ai demandé ce qui n'allait pas, elle a fondu en larmes. Après s'être calmée, elle m'expliqua que son fils était en colère contre elle. Divorcée, elle vivait seule avec lui.

Depuis quelques temps, alors qu'elle s'entendait auparavant très bien avec lui, il se montrait plus réservé et plus dur. Étant donné qu'il était entré dans la période délicate de l'adolescence, elle avait d'abord pensé que son changement d'attitude était dû au malaise propre à cette phase. Mais son inquiétude accrut quand elle se rendit compte que son fils gardait scrupuleusement un des tiroirs de son bureau fermé à clef.

Ce n'était pas une mère abusive et indiscrète, mais démunie face au mutisme de son fils et imaginant le pire (notamment la drogue) son instinct la poussa un matin à forcer le tiroir... dans lequel elle découvrit un tapis de prière, un qamis et un exemplaire du Coran.

Lorsqu'elle en parla à son fils, il fut non seulement en colère contre son indiscrétion mais se mit à lui reprocher violemment son mode de vie et le fait qu'elle ne lui ait jamais parlé de religion.

Après cette dispute, constatant à quel point son fils restait fermé et hostile à son égard, Dominique s'en ouvrit à une de ses amies de culture arabo-musulmane qui connaissait son garçon depuis plusieurs années. Heureusement dans ce cas précis, le temps qu'elle prit pour discuter avec lui permit de dénouer la situation.

Il s'avéra qu'il avait été influencé par sa petite amie qui avait une pratique rigoriste de l'islam. Elle expliqua au garçon que ce n'était pas parce qu'il était amoureux d'une personne qui avait cette interprétation de la religion qu'il devait la partager et que l'amour c'était accepter et aimer l'autre tel qu'il était, et non le changer à son image. Elle-même vivait en couple avec un homme athée d'une autre culture que la sienne.

Je pense que bien entouré et soutenu par ses deux parents, il n'a pas basculé dans ce que l'on ne nommait pas encore « la radicalisation. »

Un autre événement plus inquiétant est advenu lors de mes dernières années de travail, après les attentats de 2015. Cela concernait le fils de mon autre collègue de bureau, Nathalie, de quelques années plus jeune que celui de Dominique.

Je l'avais connu enfant, lorsqu'il venait chercher sa mère au travail. Je me souviens d'un petit garçon attachant, brillant, souffrant d'hyperactivité. Nathalie nous expliquait qu'il travaillait très bien à l'école mais s'ennuyait ferme car le programme n'avançait pas assez vite pour lui.

Je savais que le divorce de ses parents avait creusé son malaise et que depuis l'adolescence, les rapports avec ses deux parents s'étaient fort détériorés. Nathalie avait de plus en plus de mal avec lui. Plus grand, il se mit à fréquenter une bande qui pratiquait notamment l'escalade sauvage sur des bâtiments urbains. Plusieurs fois, avec ses acolytes, ils durent fuir avant l'arrivée de la police.

Sa mère semblait dépassée et confuse. Un jour, elle nous annonça qu'elle s'était convertie à l'islam. Cela ne sembla pas modifier son comportement ni son mode de vie. Sa conversion eût-elle une influence sur son fils ? Il s'avère que quelques temps après, celui-ci se convertit au salafisme.

Ainsi, ce jeune homme que j'avais connu enfant se mit à revêtir l'uniforme salafiste, à participer à des prières de rue, à militer de manière vindicative.

Un jour, Nathalie nous apprit qu'il allait se marier à une jeune femme marocaine qu'il n'avait jamais rencontrée, et dont il avait fait la connaissance sur un site internet par l'intermédiaire de son frère. Il déclarait que son épouse et lui vivraient dans une zone déserte et peu desservie par les transports pour que sa femme ne risque pas de faire des rencontres. Elle ne travaillerait pas et porterait la burqa lors de ses rares sorties. Il désirait avoir beaucoup d'enfants.

J'étais sidérée du ton de Nathalie lorsqu'elle nous racontait ce projet sinistre. Naïveté, déni, inconscience ou bêtise ? Elle-même qui n'était pourtant pas une pratiquante rigoureuse et vivait librement témoignait d'une forme d'admiration pour son fils. Aucune réaction lorsqu'on lui faisait remarquer qu'il était fort possible que la future épouse ne partage pas les mêmes aspirations que son promis.

L'on entend souvent l'adage « pas d'amalgame » concernant islam et islamisme, mais malheureusement, la réalité aujourd'hui, c'est que la frontière entre les deux est trouble et dépasse les individus qui n'ont pas conscience du mouvement dans lequel ils sont pris. L'islamisme tend de plus en plus à se substituer à l'islam. Des collègues d'origine arabo-musulmane travaillant au sein d'une structure d'accueil extrascolaire de la commune et en contact quotidien avec les familles me faisaient part fréquemment de leur exaspération et de leur inquiétude face à l'affluence de plaintes de parents bigots mécontents parce que leur enfant avait mangé un bonbon contenant de la gélatine de porc ou parce que leur petite fille avait fait la sieste à côté d'un petit garçon.

Oui le racisme anti-musulman existe mais j'ai surtout pu constater autour de moi que l'islam jouissait majoritairement d'un capital de sympathie et surtout d'attraction. Mon dernier chef de service était converti à l'islam. Le patron de l'entreprise privée pour laquelle travaillait mon mari à la fin de sa carrière également. Bien sûr et fort heureusement, ces personnes ne sont pas des islamistes, néanmoins je ne peux m'empêcher d'être préoccupée par ces conversions car il me semble que la plupart du temps, elles ne sont pas le fruit d'une quête spirituelle et intellectuelle mais la réponse sommaire à un besoin de cadre social et d'appartenance à une communauté. Une forme de conformisme. Une pratique conservatrice de l'islam tendant à devenir la norme, je ne peux m'empêcher d'éprouver de la défiance vis-à-vis de ce retour en force du religieux. Le peu de résistance et de prise de conscience qu'il suscite m'inquiète.

Ainsi, après les attentats de Bruxelles, en réaction à la une de Charlie représentant Stromae, Dominique m'a prise à parti: « Tu as vu ce qu'ils ont fait encore ? Toujours avec ton Charlie ? »

Cette remarque ne m'a pas atteinte personnellement mais j'ai été dérouragée par l'incompréhension et l'intolérance grandissante face à l'humour noir et la satire. Parfois j'ai l'impression que les gens cherchent des excuses pour ne pas être Charlie, parce que c'est plus confortable et que cela justifie que l'on ne prenne pas à bras le corps le problème de l'islamisme.

En dépit de ma nature optimiste, entre ce phénomène et l'avènement d'idéologies radicales comme le néoféminisme et le décolonialisme qui participent à une régression de notre liberté d'expression, j'appréhende le monde qui vient pour mes enfants.

Depuis l'assassinat atroce de Samuel Paty et le peu de réaction qu'il a suscité, certains matins, je me réveille tétanisée et les larmes aux yeux.

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