La forme et le fond

30/12/2020

La tribune de L'Observatoire parue dans Le Vif « Nous ne voulons pas de "safe spaces", symbole de régression, nous défendons des valeurs universelles. », a suscité des réactions enthousiastes mais également certaines hostiles. Une remarque entendue quelque fois lors de discussions m'a frappée particulièrement. Celle-ci consistait à établir une distinction entre la forme de la tribune et son fond...

Ainsi, des personnes se déclarèrent d'accord sur le fond mais non sur la forme. 

Perplexe, je n'obtins aucune réponse lorsque je demandai un exemple précis, un extrait, une ligne témoignant de ce défaut de forme.

Dubitative, je ne pus m'empêcher de penser au discours, inepte, qui affirme que les assassins de Charlie ont eu tort sur les moyens employés, mais raison sur le fond.

Dans sa tribune, l'Observatoire tâche de mettre à nu un discours idéologique et une stratégie politique. La rigueur de la pensée induit celle des mots utilisés. La fermeté de ton va de paire avec la rigueur intellectuelle de la démonstration. Forme et idée sont une et même chose.

L'on m'allégua également « la prétention » de l'Observatoire, sans expliciter en quoi consistait cette prétention.

Quiconque prend publiquement la parole fait preuve d'audace et s'expose. La pertinence de son propos est seule garante de sa hardiesse. Ici, je remarquais que l'on évitait soigneusement d'évoquer le contenu du texte.

Il s'avère que l'accusation de prétention revient souvent dans les procès verbaux de l'Inquisition. Les accusés auraient fait preuve de prétention en appréhendant Dieu sans intermédiaire ou en se démarquant de l'Institution religieuse. Je songeais en souriant intérieurement que la caractère populaire de l'Observatoire, qui établit des ponts entre scientifiques, chercheurs et citoyens pouvait peut-être déranger certains, attachés aux institutions comme autrefois les théologiens à l'Église. D'aucuns lui reprochent son manque de professionnalisme, or s'agissant de la défense de la liberté d'expression et de conscience, l'engagement bénévole de citoyens me semble précieux lorsqu'il arrive malheureusement que certaines associations percevant des subventions publiques, dévoient de leur mission initiale en n' entretenant plus qu'un fond de commerce idéologique et financier.

Autrefois, la prétention et l'agressivité supposées des accusés n'étaient-elles pas dans le regard des inquisiteurs qui se sentaient remis en question par des marginaux libres penseurs ?

Un martyr de la liberté de penser, le philosophe Giordano Bruno brûlé Campo de' Fiori à Rome en 1600, la langue clouée sur un mors de bois, ne cessa de déclarer à son procès qu'on lui apporte les preuves des fautes qu'on lui reprochait. Dans son roman L'Homme incendié, Serge Filippini le met en scène face à ses juges:

« - « Que réponds-tu à ces accusations ? » m'interrogea Varro en me dévisageant comme s'il me voyait déjà pendu au bout d'une corde.

- « Des mensonges. C'est la seconde fois que l'on me poursuit en justice pour des fautes que je n'ai point commises. Partout les docteurs sont experts à se plaindre d'avoir été insultés, quand bien même on n'a fait que démontrer leurs erreurs. De coupables qu'ils sont en raison de leur ignorance, ils deviennent victimes. L'artifice est bien connu. »

Était-ce mon accent naturel qui irritait l'oreille de ces bonnes gens ? Tous grimaçaient sous leurs bérets noirs, paraissant endurer un martyre. L'un d'eux me questionna :

- « Est-il vrai que tu as traité le sieur la Faye de maître d'école ?

- J'ai demandé qu'on nous laisse disputer librement, arguant que nous ne sommes point des enfants... » »

Le mécanisme inquisitorial rappelle irrésistiblement celui de la cancel culture aujourd'hui. Le fondamentalisme religieux partage avec le mouvement woke la même intolérance à l'humour, l'autodérision et l'expression argumentée d'opinions contraires aux siennes, jugées offensantes. Au nom de cette offense, la destruction physique ou sociale est justifiée. Ici, le personnage note avec justesse que c'est son « accent naturel » qui est intolérable pour ses sombres détracteurs.

Bruno ne revendique pourtant aucune fonction institutionnelle et ne demande qu'à pouvoir exprimer ses idées au même titre que d'autres.

« Nous ne sommes pas des enfants », et il est souhaitable de débattre avec vigueur, et parfois ironie, arguments contre arguments.

Une amie à qui j'envoyai le lien de la tribune évoqua d'emblée son « agressivité ».

Je constatai rapidement que l'agressivité mise en avant constituait un prétexte pour ne pas aborder le contenu du texte qu'elle avoua finalement n'avoir pas lu, ne voulant pas « investir un temps considérable dans la lecture de longs textes, » certaine disait-elle que de mon côté, je ne changerai pas d'avis. Pourquoi tenait-elle à ce que je change d'avis, (notamment au sujet d'un fait dont elle-même avait une idée pour le moins confuse) ? Je l'ignore... Elle n'avait pas davantage connaissance d' évènements « interdits aux blancs » évoqués par l'Observatoire mais sentencieusement, rabâchait les mots « polarisation », « rhétorique essentialiste » concernant un texte dont elle ne savait pas la moindre ligne.

Lorsque je lui indiquai que sa posture me semblait tenir de la paresse intellectuelle et du conformisme, mon amie se sentit « insultée » et « agressée ». Ces mots lancés encore mal à propos, me firent mal. Les mots sont là disponibles, à notre portée, capables de développer en nous une conception de la vie plus riche et nuancée et ils restent esseulés, abandonnés ou employés improprement. Une parole approximative induit une pensée vague et superficielle. Ici, n'était-ce pas la réalité que mon amie trouvait insultante et agressive ? Elle me quitta en me traitant de complotiste dogmatique.

Je ne pus réprimer un fou rire tant cette anathème me semblait insolite. Je songeais que pour elle, à l'instar de Bruno, j'étais devenue une sorte d' hérétique.


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